

L'Express du 05/01/2006 Décryptage Murs du son
 par Michèle Leloup
Onze
ans après avoir signé la Cité de la musique, à Paris, avec son fidèle
acousticien Albert Yaying Xu, l'architecte Christian de Portzamparc
vient de livrer la nouvelle salle de concert de Luxembourg et en achève
une à Rio de Janeiro. Comment maîtrise-t-on l'acoustique? Réponse en
cinq points
1. La forme du bâtiment
La meilleure salle de concert est celle qui ressemble à une boîte à
chaussures. «Trop ennuyeux pour moi», glisse Christian de Portzamparc,
qui au banal rectangle a préféré l'ellipse, parce qu'elle donne
davantage d'intimité et de grandeur. Sauf que toute forme cylindrique
ou circulaire génère des foyers de résonance néfastes pour la musique.
Résultat: la salle, proche de la boîte à chaussures, s'imbrique dans ce
bâtiment elliptique. A ceci près que les parois ne sont pas parallèles,
en raison des échos flottants qu'elles produisent. «Nous avons donc
construit à l'intérieur quatre tours en béton recouvertes de bois qui
font office de loges et de niches acoustiques pour absorber les sons
riches en basses fréquences.» Pour la salle consacrée à la musique de
chambre, située à l'extérieur de l'édifice, Christian de Portzamparc
s'est encore distingué et a imaginé une oreille collée à l'ellipse. Son
plafond voûté est en bois à effet plissé, tel un origami. «Pour éviter
que les sons ne jouent au ping-pong entre le béton et le bois, j'ai
organisé cet espace sur le principe du ruban de Möbius, dont la torsion
fait diffracter les notes en douceur.
2. La hauteur de la salle
Tous les acousticiens
s'accordent à dire que la hauteur idéale est de 8 mètres. Pourquoi
celle de Luxembourg en mesure-t-elle 15? «Parce que c'est la dimension
de la salle très réputée de l'abbaye du Terrail, à Vienne, en Isère, un
lieu unique pour sa sonorité. Je rêvais de relever ce défi.»
3. Les secrets de l'acoustique
D'origine chinoise, diplômé
de l'université de Pékin, Albert Yaying Xu maîtrise bien le français,
mais ne déteste pas les onomatopées (Bang! Wroumm! Slash!) pour parler
de son métier et tape souvent dans ses mains en arrivant dans une pièce
pour en mesurer la sonorité. «Sous un plafond de 15 mètres,
explique-t-il, entre l'émission d'un son et son retour, il s'écoule un
dixième de seconde. C'est beaucoup trop. Pour diminuer ce décalage, il
faut compenser par des équipements sophistiqués.» Le plafond, par
exemple, pèse 60 kilos au mètre carré. Ce qui est suffisamment lourd et
dur pour éviter l'effet membrane - celui qui existe avec le tambour.
Quant aux trois panneaux modulables fixés au-dessus de l'orchestre, ils
permettent d'agrandir ou de rétrécir l'espace à volonté. «C'est le
principe du focus d'un appareil photo, reprend Yaying Xu. L'idée est
d'adapter la salle à tous les types de répertoires.» Pour le jazz, ces
panneaux demeurent ouverts afin d'absorber les sons, mais ils restent
fermés pour la musique romantique.
4. La suppression des vibrations
Le bois est le matériau incontournable. «A condition de veiller à ce
que les tasseaux ne soient jamais carrés, mais rectangulaires, et qu'il
n'y ait aucune tête de clou apparente!» affirme l'acousticien. Et ce
n'est pas tout. Pour que les 837 piliers de l'édifice ne vibrent pas
sous l'effet du vent, ils ont été agrémentés d'une tige interne en
acier, sorte de pendule qui se comporte comme une corde de guitare.
5. L'avis des experts
«Un second violon m'a avoué que l'acoustique est si parfaite qu'il
s'entend lui-même jouer dans l'orchestre, confie Portzamparc. Mais
Daniel Barenboïm, le patron, nous a dit que la grande salle était trop
dure dans les attaques. On s'est interrogé. Et Yaying Xu a eu une idée
géniale: il a déplacé le piano d'un mètre!»




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